BORDEAUX
Le 1er Mars 2015
Richard Wagner: Tristan und Isolde. Ce prélude est imprégné d’une angoisse déchirante, d’une menace qui plonge, plonge et s’évanouit comme la fumée d’une cigarette, engloutie par l’air frais. La nuit est tombée, il fait froid, très froid et mes mains sont tout à fait glacées. Le ciel nuageux et menaçant est tombé aussi dans le vide, comme un oiseau blessé par une balle et tout d’un coup, ma vie semble sombrer dans une solitude immense, infinie, une solitude de chien égaré ou d’un ange qui cherche sa voie vers le ciel. Inutile de songer, inutile de me créer des fantasmes qui finissent par embrasser le désespoir et les ténèbres. Le passé et le futur constitue la symbiose qui accompagne la marche musicale de la vie, les derniers mots d’un malade trépassé. Le passé est un mort, le futur est une illusion. Moi, moi aussi je suis une image, comme l’image vague qui se reflète dans le miroir étincelant d’une rivière. Je me regarde, la même, les yeux trempés de larmes, les mêmes larmes qu’on n’a jamais réussi à sécher. La folie de Tristan, les noms des étoiles qu’on a inventées pour distinguer leur lumière et l’humanité qui palpite au lointain et qui s’évanouit dans les rafales de vent. Les nocturnes de Chopin interprétées par une femme malade, les mains décharnées en dansant sur un piano ancien, sur la poussière, elle va prolonger sa vie dans la musique, elle est éternelle. Combien de fois il faut mourir pour qu’on se réveille ? Qu’est ce que le sommeil sinon une vie qui se prolonge, une vie diluée dans la douceur de la nuit ? Mon cœur arraché glisse comme la cire, il fond, il se dissipe comme la fleur de pissenlit.
Un jour elle m’a écrit. Je la reconnais même si
elle n’a pas de nom, pas de forme, pas de couleur, pas d’odeur. Pas de repères,
pas d’indices, seulement sa lettre, en attendant mes mains et mon regard figé
et horrifié. Je la vois comme dans un rêve, imprécise, flottante, en faisant
des signes avec la tête, en m’attirant dans ses pièges. Douce souffrance, tu
vas m’infliger tes peines, tu as écrit ces vers avec tes griffes, tu as mangé
mon âme, souffrance cannibale ! Je vais m’abîmer dans l 'oubli, je vais
avoir la mémoire des pierres.
Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Ce n’est pas un truisme la vivacité et le désir fébrile de vivre, d’annuler la plénitude, le désir de se soustraire à la temporalité, de dépasser les bornes qui s’impose comme un obstacle inébranlable entre toi et toi-même. Le vent se lève, chaque instant est une rupture temporelle, une rupture. Il faut annuler les absences, annuler le vide et les minutes mortes, il faut vaincre la mort, voilà l’éternité ! Le plaisir de lire, de relire, le plaisir de l’écriture, le bonheur fragmenté, les petites jouissances restent englouties par le silence, l’acte de se taire, l’art de se taire, la finalité gratuite. Annuler les absences, survivre.
Ou, comme disait Baudelaire : Il est l’heure de
s’enivrer…. Puisqu’ ‘il voit l’heure dans les yeux des chattes comme les
chinois, parce qu’il a gouté de ce mal du siècle que nous ne connaissons
pas, puisqu’il n’a pas créé des poèmes mais des tableaux, parce qu’il a écrit
des couleurs et des petites éternités.
Le 7 Mars 2015
Bordeaux. Le premier printemps à Bordeaux. Les
couleurs du ciel en se mélangeant toujours comme les gens qui se basculent dans
la rue, comme les étrangers qui mélangent leurs regards perdus. A quoi sert la
littérature, cette espèce d’intimité qui se dévoile toute nue et qui s’échappe
à la temporalité, à quoi sert cet arbre que je regarde intensément depuis une
heure sans cesse pour abreuver mon désir de voir : voir quelque chose d’autre
que de simples branches en se penchant vers la terre, voir des figures
mythologiques immémoriales. A quoi ça sert ? C’est la question rhétorique qui
n’a plus besoin de réponses, rien ne peut s’échapper à l’interrogation d’une
âme déçue en train de se suicider.
Le printemps à Bordeaux. Le soleil est plus
brulant que hier, que les semaines passées, que l’année dernière. Il se moque
de nous, nous qui n’avons aucun repère, comme des aveugles égarés dans la
lumière. Oedipe a arraché ses yeux pour ne plus voir la ‘nuit’ de dehors, mais
pour s’abîmer dans une nuit intérieure, plus déchirante, plus réelle. Les
oiseaux sillonnent le ciel, ils ont l’air d’avoir surgi de cette immensité
bleue comme les fontaines qui jaillissent de la terre. La foule du coeur de la
ville bercent dans les rues comme les vagues qui troublent la mer. Elle glisse
furtivement, imperceptible, en s’écrasant comme des morts enterrés, puis
pourris, puis décomposés, puis dépouillés… des os, des crânes, des fossiles.
Dans le monde mythique, les êtres humains sortent de la terre. C’est comme ça que l’humanité est née, en sortant de la terre, sans évoluer, sans se soumettre aux processus naturels du temps, sans se dissoudre. Elle existe depuis toujours et elle se dirige chaotiquement comme la matière du cosmos, en supprimant la finalité. Le cercle vicieux qui attrape comme un gouffre toutes les particules qui flottent dans l’univers c’est leur axis mundi, c’est comme un phare lointain qui veille sur l’immuabilité du mythe. Chez nous, les choses ne sont pas pareilles : on dit que la naissance a comme premier but, la morte. Mourir pour naitre, naitre pour mourir. Et puis ? Rien. Une cyclicité qui s’explique par elle-même. Une forme d’évolution qui a comme premier bût la désintégration.
Le 7 Avril
Bordeaux le printemps. Je reste assise dans la
cours de l’université, le soleil brûle mon visage et pénètre dans mes cheveux
blonds. Je n’oublierai jamais Bordeaux, ces ruelles qui coulent et se
prolongent dans mon coeur comme le sang dans mes veines. Je vais garder ces
souvenirs dans mon coeur pour toujours, comme dans un rêve flou où tu perds ton
corps, où tu sens au fur et à mesure que tu perds tes contours, comme dans un
rêve je vais me dématérialiser et regarder par la fenêtre, la même nostalgie de
mes sentiments incertains. Encore quelques semaines à Bordeaux, le printemps
dans mes os, en fouillant dans la ville, les doigts empoisonnés par ce petit
bonheur étranger. J’attends, le ciel ouvre ses portes et moi, dans son miroir
clair, et moi…. Comment pourrais-je t’expliquer ce que je sens dans ces moments
de splendeur et de beauté ineffable, je sens tout, la musique, les couleurs du
ciel, les regards, la souffrance, tout… une palette des sentiments qui
m’envahissent complètement.
A jamais, Bordeaux m’a changé, c’est un rêve
infini. A jamais, je laisse une parcelle de mon âme ici.
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